top of page

L'atelier d'artiste comme lieu d'écoute

Pourquoi je fais des tableaux ? Je n’ai jamais très bien compris. Le secret. Le son de la balle dans la finale de Blow-Up et toute l’atmosphère du film. 

- Charles Gagnon 

 

Récipiendaire du Prix Paul-Émile Borduas en 1995, l’artiste québécois Charles Gagnon (1934-2003) a principalement été reconnu pour ses réalisations picturales et photographiques. Elles ont été appuyées par trois rétrospectives majeures ayant eu lieu au Musée des beaux-arts de Montréal en 1978, au Musée du Québec en 1998 et au Musée d’art contemporain en 2001.

Le bilan réalisé au Musée des beaux-arts de Montréal en 1978 a présenté Charles Gagnon comme l'un des artistes les plus novateurs de sa génération. Depuis, son œuvre est devenue le propre d’une histoire de l’art moderniste qui situe l’artiste dans l’engouement pour la peinture abstraite au sein des milieux artistiques, laquelle a guidé les choix esthétiques de plusieurs institutions muséales. À cette époque, la peinture de Gagnon rappelle tantôt les traits gestuels des peintres abstraits américains, dont les premières œuvres de Pollock ou le all-over, tantôt l’influence du Pop Art. Certaines de ces œuvres glissent parfois vers des compositions monochromes. Il faudra attendre la rétrospective du Musée d’art contemporain de Montréal en 2001 pour faire émerger un discours qui ouvre à la production photographique de l’artiste, lequel était pourtant une constante dans son travail depuis longtemps. Toutefois, un discours ne s'est pas substitué à un autre. Au contraire, en parallèle à cette mise en valeur de la production photographique, Charles Gagnon continue d'être perçu comme un artiste de la peinture moderne au Québec, tel que le présente l'exposition Passion privée : la collection Pierre Lassonde au Musée national des beaux-arts du Québec en 2015.

Au-delà de ces premières analyses sur la représentation de l'œuvre de Charles Gagnon, un retour sur sa pratique picturale des années 1960 dévoile d'autres spécificités que celles d'une modernité strictement picturale mise en valeur par les discours du milieu culturel et les choix des œuvres présentées dans les expositions de l'époque : des boîtes-installations entre le collage et la peinture ou l’intégration d’un cadre au sein de la composition, telle une mise en abîme. Dans les années 1970, les œuvres présentent des ruptures, des discontinuités spatiales et temporelles au sein même de la composition. À cet effet, les séries Espaces-écrans (1973-1978), Cassations (1976-1981), Inquisitions (1981- 1983) divisent l’espace géométriquement et rappellent une bande de pellicule en mouvement d’un film. Une partie de la production de l’artiste intègre également des mots au pochoir sur des compositions de ciels hétérogènes. Les photographies versent dans l’hétérogénéité et résultent de modalités de décadrages et de décalages. Plusieurs montrent des lieux de passage, la banalité, l’évacuation du sujet.


La diversité des médiums utilisés par l’artiste mène à la création de correspondances, dont la série Histoires naturelles (1991-1996) qui est une rencontre entre la peinture monochrome et la photographie de paysage. Certaines oeuvres se présentent comme des boîtes vitrées montées sur roues et suggèrent un caractère mobile et portable de la peinture. Par ailleurs, l’artiste explore le cinéma dès le milieu des années 1960 en créant notamment quatre films en 16 mm dont un inachevé, soit Le huitième jour (présenté au pavillon Chrétien d’Expo’ 67) (1966), Le son d’un espace (1967), Pierre Mercure (1970), R-69. Si l’œuvre cinématographique de Gagnon a récemment été mise en valeur par le projet Cinéma Expo '67 (2017), l’artiste reste le plus souvent associé à la figure du peintre et, plus récemment, du photographe. Encore de nos jours, l’analyse de son œuvre demeure sous l’emprise du médium pictural. En témoigne entre autres l’exposition récente Charles Gagnon. Question de regards présentée au Musée national des beaux-arts du Québec (2007). En somme, un regard sur l’ensemble de sa production révèle la récurrence de certains thèmes qui traversent les médiums et les périodes : les notions de (dé)cadrage, de fragmentation, d’accumulation, du détail, de la répétition et de la série.

Les disques du fonds Charles Gagnon : un don au Laboratoire de recherche-création La Création sonore : cinéma, arts médiatiques, arts du son

Suite à la fermeture de la phonothèque québécoise (2011) qui s’était donné comme mandat de préserver le plus d’aspects possible de la phonographie – le terme étant compris ici dans sa multiplicité d’acceptations, le Laboratoire de recherche-création La Création sonore: cinéma, arts médiatiques, arts du son, dirigé par Serge Cardinal, professeur au Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’Université de Montréal, a hérité du fonds Charles Gagnon en 2017. Ce fonds contient 325 vinyles de la collection de l’artiste, minutieusement sélectionnés à partir des 3000 disques que Gagnon possédait, laquelle apparait dans son intégralité dans cette exposition.

À l'origine, le groupe de recherche s’est donné pour mandat de mettre en valeur ces matériaux pour analyser leur potentiel à saisir des attitudes ou des récurrences dans le comportement de Gagnon qui n’auraient pas été dévoilées jusqu’à maintenant. Chaque album du tri effectué est exceptionnel et singulier. Que ce soit par le choix de l’édition, la qualité visuelle ou l’originalité sonore de la musique, ces disques témoignent de la connaissance de Charles Gagnon en la matière. La collection de disques présentée dans cette exposition est un moyen de réfléchir à la manière dont ces artefacts s'immiscent dans le processus de création de l’artiste.

bottom of page